TANT ET TROP D’YEUX !   ou MICHEL SMOLEC dessinateur

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Quels yeux !
Quels yeux !

            Voici quelques années, Michel Smolec qui en mourait d’envie depuis longtemps, a osé enfin concrétiser son désir, amorçant avec la terre une relation très passionnelle : petites sculptures fort originales, monochromes, à la fois bouleversantes et provocatrices : Bouleversantes, parce que ce créateur totalement autodidacte, semblait désormais incapable de canaliser le flux des traumatismes qui avaient naguère perturbé son existence, et jaillissaient dès lors comme d’autant de témoignages et de souvenirs enfin conjurés. Provocatrices, elles le furent d'emblée ; semblant défier le visiteur de les trouver trop jeunes pour jouer dans la cour des grands ! Frondeuses, raisonneuses aussi, un peu militantes, sous leurs airs innocents et leur bon sens populaire. Sans doute encore surpris par la révélation de ce monde pictural auquel il apportait maintenant sa marque, Michel Smolec fonça tête baissée ; répondant à l'urgence, au besoin d'être narratif, à la nécessité de rattacher SES oeuvres à SA réalité !

Qui suis-je ?
Qui suis-je ?

Bientôt, intuitivement, il commença à se libérer de cette nécessité de « raconter ». Il s'en alla plus loin dans une fantasmagorie de petits êtres masculins aux bouches tordues, lèvres craquelées, cheveux hirsutes ou embroussaillés, bras difformes et inégaux, yeux trop petits ou exorbités ; et féminins, plus sophistiqués, aux fesses charnues amoureusement polies, aux seins gonflés délicatement mamelonnés, à la chevelure flamboyante très soignée en lourdes masses savamment entrecroisées, aux sourires tendres et légèrement ironiques. Chaque personnage devenait en soi porteur d’une histoire tout en préservant l’érotisme qui avait jalonné les relations de ses petits couples.

Confusion,
Confusion,

Un soir, il rentra hilare du travail, où il avait passé sa pause de midi à dessiner sur un mur en construction, une "demoiselle du chantier" nue, pubis en évidence, cheveux blonds et sac à main balancé à bout de bras ! Le regret de ne pouvoir détacher le pan de mur pour récupérer ce témoignage de sa première tentative en deux dimensions fut-il le moteur qui l’amena à continuer sur le papier cette recherche elle aussi d’emblée fort originale ? Toujours est-il qu’il réalisa de drôles de dessins jetés à grands coups de crayon noir, où l'on ne repérait au début qu'un personnage dissimulé dans une flore incertaine ; mais où progressivement, l'attention se portait ici sur un oeil tapi dans un angle, sous une feuille, là sur une figure au milieu des buissons…Apparaissait un second visage, perpendiculaire au premier peut-être, voire complètement inversé. Bientôt plusieurs faces étaient décelables, à mesure que tournait la page ; grimaçantes, humoristiques, sombres, inquiètes, jamais méchantes… corroborant ce perpétuel aller-retour de la réalité à l'imaginaire ébauché avec les sculptures.

Mais il semble que, comme tous les authentiques créateurs, Michel Smolec soit incapable de se contenter d’une répétition à l’infini d’une même formulation. Alors, les personnages ont grandi. Désormais sur bois, ils sont passés à la couleur, à grands traits de pastels gras, mélangés de façon à créer des nuances de chairs rose-nacré…

Tant et trop d'yeux
Tant et trop d'yeux

Ils se sont débarrassés des décors incertains, comme des Golems se libéreraient de la gangue qui les entourait. Mais ce faisant, ils ont, sur eux-mêmes, généré de nouveaux questionnements : Ce qui semble être deux femmes protégées par un parapluie, nues dans un angle qui pourrait être le croisement de deux maisons, sont-elles bien deux ? Sont-elles siamoises ? N’y a-t-il qu’une seule femme avec deux visages dont l’un serait à sa place, l’autre planté celle de la poitrine déjetée ? Est-ce un bras, est-ce un pan de hanche qui dépassent de l’anatomie visible –lisible- ? Et ces yeux, à travers la vitre qui ne révèle qu’une vague silhouette floue, sont-ils ceux d’un voyeur ? Sont-ils le subconscient de cette/ces femmes(s) ? Sont-ils simplement son (leur) reflet dans le verre ?… Et sous une autre opulente chevelure rousse, combien y a-t-il de visages puisqu’il y a deux nez; deux croix d’or, et deux seins ; mais trois yeux ? A qui appartient ce bras levé qui ne semble rattaché à aucun corps ?… Et sur une autre encore, quel créateur a-t-il jeté pêle-mêle des bras trop courts, des poitrines galbées n’appartenant à personne, des pans de joues anormalement étirés… des visages comme glués les uns autres, aux bouches de guingois parfois se chevauchant… aux yeux fixes, comme plantés sur les orbites et non dedans…

T'as de beaux yeux, tu sais
T'as de beaux yeux, tu sais

Les yeux ! Ce sont eux, finalement, qui accentuent l’étrangeté des personnages et ajoutent à la difficulté de les définir ! Dessinés en amandes, ils sont d’un bleu très vif, aux épais sourcils, aux paupières lourdement maquillées et à la pupille violemment dessinée qui donne au regard un air à la fois énigmatique et dur, voire arrogant. Mais surtout, ils ne sont jamais à la bonne place, et leur nombre n’est jamais satisfaisant ! Et si l’on tient compte du fait qu’à peine esquissés les contours des futurs protagonistes, ce sont les yeux qui apparaissent les premiers, ils est évident qu’ils prennent dans l’esprit de l’artiste, une importance capitale. Et, indéfinissables, revêtent pour le spectateur, une connotation obsessionnelle dont seuls, peut-être, des psychanalystes sauraient décrypter le message !

En attendant, Michel Smolec est devenu l'auteur assurément talentueux, d'oeuvres intenses qu'il est impossible de ne considérer qu'esthétiquement !

         Jeanine Rivais.

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SO MANY AND TOO MANY EYES ; SO MANY AND TOO MANY BODIES

Or MICHEL SMOLEC, DRAWER.

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            A self-made man, Michel Smolec created during a lot of months, in a half-secret, strange drawings thrown with large pencil strokes, where, at the beginning, one could spot but a personage hidden in some uncertain wildlife ; but where, by and by, the focus would be on an eye lurking in a corner, under a leaf, there on a figure among bushes… Appeared a second face, perpendicular to the first, maybe, or even completely reversed. Soon, several faces, grimacing, humorous, dark, anxious, never nasty, could be disclosed, as the page was turned… corroborating that everlasting movement there and back of reality and imagination.

            One evening, he came back hilarious from his work, where he had spent his lunch break drawing on a building wall, a naked "demoiselle de chantier" (¹), pubis forward, blond hair and twisting her reticle at arm's length ! Was regret not to be able to remove that piece of wall and recover testimony of his first attempt in two dimensions and in colours, the motor that brought him to draw on materials found  randomly along streets ? That search being too, from the first, very original. The fact remains that he has taken up  drawing on wood, with large strokes of fatty pastels, mixed so as to show hues of pearly flesh…

            By and by, his characters changed, grew up. They rid themselves of uncertain decors, like some Golems which would free themselves from the gangue that surrounded them. But, doing so, they generated new questionings on themselves : What seems to be two women under an umbrella, naked in a corner that could be the crossing of two houses, are they really two ? Are they Siamese ? Is there only one woman with two faces, one being at its place, the other planted in place of the lopsided one ? Is it an arm, is it a hip-flat projected beyond the visible –legible- anatomy ? Those hardly seen eyes, through the window-glass, in an indefinite, hazy outline,  are they some peeping Tom's ? Are they this/these woman(women)'s subconcious ? Are they simply her (their) reflection in glass ?... And beneath another opulent red hair, how many faces are there, since there are two noses, two gold-crosses, and two breasts ? Whom does that raised arm belong to, that does not seem to be attached to any body ?... And on still another one, to whom belong, all jumbled up, too short arms, rounded breasts, abnormally stretched cheek-flats… faces seeming glued to one another with lopsided mouths sometimes overlapped… with set eyes, like planted on the sockets and not in…

            The eyes ! It is finally them that, for a long time, have increased the strangeness of the individuals, and added to the difficulty in defining them ! Drawn in almonds, they were a very bright blue, with thick eyebrows, heavily made-up eyelids and the pupil violently drawn which made the look both enigmatic and hard, even arrogant ! But chiefly, they never were in the right place, and their number was never satisfying ! And if you take into account the fact that the outlines of the intending protagonists hardly sketched, it was the eyes that appeared first, it is evident that they took, in the artist's spirit, a paramount importance. Indefinable, they showed an obsession that the spectator would have do try and decrypt !

            Going on with works in which he still explored mysteries where you could find, enigmatic, similar association/dissociation of bodies and faces, Michel Smolec left anyway a little their disruptive eyes and started to give his attention to the bodies. Not bodies in the academic meaning of the term, but tangles of bodies ; of thighs straddling torsos ; right postures or heads to feet… medleys of arms, legs, heads springing up in all directions… Without being in the least preoccupied to hide their nakedness. Going, to become more precise in details, up to proceed from fatty pastels to painting.

            Of course, the connotation of these gymnastic postures has changed, has become charged with eroticism. From there, thinking to the sin of flesh, to these plump rose and bronze flesh… there was but a step that the artist has blithely crossed, flouting taboos, and entitling his new works "Lupanars"(²)

 

 What will happen to these indistinguishable beings ? What will become of these rough sketches (of these debauches) ? One certitude only : that artist by surprise has become, along the years, a genuine "Outsider", developing an originality that scorns perspective, proportions, traditional rules of painting ; the author of creations which draw any spectator into variable implications, incredibly humorous and jubilant.

Then ! Let's wait !

 

 

                    Jeanine Rivais

 

 (¹) "A construction site miss".

 

(²) Brothels.